LETTRE DE BALTHAZAR (17)

de Jacaré (fleuve Paraiba, état de Paraiba, Brésil) à

Angra dos Reis (Sud de Rio)

du Vendredi 1er Octobre 2010 au Mardi 12 Octobre 2010

C'est le début du Printemps austral et, tels des oiseaux migrateurs, nous revoilà en mer cap au Sud en route pour Ilha Grande, par un petit alizé qui nous pousse gentiment sur une mer calme. Jacaré est dans le sillage. Nous savourons d'être à nouveau en mer, le bateau bien ventilé rendant supportable la température ambiante qui avoisine 30°C, par ce beau temps après le gros travail de déstockage et remise en conditions de navigation de BALTHAZAR. Il fallait, comme nous disions pour les lancements d'ARIANE remonter la configuration comme nous allons le voir.

Arrivé avec Claude le 28/9 après un voyage de près de 24h et trois avions j'ai retrouvé avec plaisir Balthazar ainsi que l'ambiance équatoriale paisible de ce petit village de pêcheurs au bord du fleuve Paraiba. Nous nous sommes levés à 5h30 du matin dès le lendemain pour aller échouer Balthazar à la marée haute sur la grève sableuse devant la cale pour faire gratter la coque et lui enlever les algues et berniques qui ont déjà proliféré dans ces eaux chaudes. Dur travail effectué par Filippo, homme à tout faire de la minimarina, qu'il termine par des plongées en combinaison une fois le bateau revenu au ponton pour gratter la partie rendue inaccessible par l'échouage, nettoyage indispensable pour reprendre notre longue navigation sans perte de vitesse qui serait sinon considérable (le carénage complet avec pose d'une nouvelle couche d'antifouling, changement des anodes... est prévu le 14 ou 15/10 à la marina Verolme, près d'Angra dos Reis, le St Trop de Rio et Sao Paulo, équipée d'un puissant travel lift pour sortir de l'eau et mettre sur ber les 27 tonnes de Balthazar).

Pendant cette intervention j'empruntais le petit train local, animé et coloré, qui m'emmenait en bringuebalant au port voisin de Cabedello où je faisais les papiers de départ de Balthazar (l'ayant laissé 3 mois seul j'avais dû le mettre sous douanes, on ne plaisante pas avec les papiers dans ces pays). J'en profitais pour y acheter dans des rues hautes en couleurs une machette qui nous sera nécessaire pour dégager la chaîne et l'ancre, dans les canaux de Patagonie, des longues lanières de kelp pouvant atteindre 15 m.

. Le 29/9 déstockage du dessalinisateur, nettoyage des filtres, mise en route du congélateur, tests des moteurs, groupes et équipements, remontage du moteur et embrayage du pilote électrique Raymarine que j'avais dû déposer et expédier chez le constructeur JEFA au Danemark à mon retour de Juin (l'embrayage électromagnétique a subi une modification et le rapport de réduction à été divisé par deux pour mieux l'adapter à la taille de mon bateau), bricolages divers nous occupent une longue matinée commencée également au point du jour.

Bertrand arrive de l'aéroport avec le taxi de Bernardo vers 14h et lui et moi, à peine après avoir débarqué son sac à bord, partons faire l'avitaillement à quelques kilomètres de là. Nous rentrons avec un solide chargement nous permettant de manger du «frais» une douzaine de jours. A peine tout rangé, à la nuit tombée, nous retrouvons les 5 équipages des bateaux de passage habités autour d'un barbecue sympathique où chacun amène sa viande et ses plats. Caïpirinhas de bienvenue, ambiance décontractée de ces vagabonds des mers, cubi de Cahors amené par Balthazar, permettent de lier connaissance. C'est un Breton, originaire de Roscoff, qui en a pris l'initiative. Ayant terminé sa carrière à Singapour, jeune retraité, il en arrive tout droit via l'Océan indien, les archipels, la Réunion, Durban, Bonne Espérance, le Cap et la Namibie, à bord d'un beau voilier accompagnée d' une jolie asiatique. Nous sympathisons en particulier avec un couple de Norvégiens accompagnés de leurs deux enfants de 10 et 12 ans (fille et garçon) apparemment très heureux de leur périple. Les cours scolaires à bord et par correspondance les occupent chaque jour mais cela semble bien se passer.

C'est fourbus que nous rentrons à bord. Mais ce n'est pas fini car le 1/10 nous nous levons à nouveau dès potron-minet pour être certains de ne pas avoir de vent notable et pouvoir ainsi regréer sans difficultés les lourds génois et solent qui avaient été mis en soute pour les protéger des UV.

Entre 9h et 10h un délicieux massage fait par la charmante jeune femme qui s'occupe de la cuisine et du bar de la petite marina dénoue mes muscles contracturés par le dur travail que nous venons d'accomplir. J'en entends qui ricanent au fond de la classe. Non ce massage qu'Eckard (Weinrich) avait expérimenté lors de notre arrivée début Juillet n'est pas thaïlandais mais brésilien authentique!

C'est en fin de matinée par un temps splendide et à marée descendante que nous larguions nos amarres, salués par nos compagnons de la veille, et entreprenions la descente du fleuve. Vivement la mer pour souffler et se reposer et une belle bonite pêchée dès le deuxième jour par Claude!

En début de nuit, alors que nous sommes encore sur le plateau continental peu profond nous nous faisons prendre dans des longs bouts flottants de filets ou casiers. Le très gros Opinel du bord bien affûté que Pierre (Dubos) m'a gentiment offert lors de notre départ de Marines vers le Spitzberg entre en action (il avait gravé sur le manche avec son humour habituel «couteau à dépecer les Ours»), quatre bouts sont prestement coupés après les avoir remontés avec la gaffe au ras de l'eau devant la jupe arrière et une glène lovée d'une cinquantaine de mètres est remontée à bord . Pas de quartier pour ces c... de pêchous qui laissent flotter des cordages en surface en pleine mer. Ils doivent au contraire les plomber et les couler, ne laissant que les bouées équipées d'un signal, absent bien entendu en l'occurrence. L'épisode n'a pris que quelques minutes.

Malgré l'alizé modeste Balthazar file ses 150 milles par jour en route directe au petit largue, conditions paisibles et idéales pour se réamariner et récupérer des fatigues du départ, ciels nocturnes splendides dans lesquels Jupiter et Vénus matérialisent parfaitement le plan de l'écliptique.

Lundi 4 Octobre 8h du matin par 13°38'S et 36°26'W, nous nous trouvons à 40 milles au Sud du parallèle de Salvador de Bahia. Après du vent frais la nuit précédente nous obligeant à prendre 2 ris et à passer au solent l'alizé s'assoupit et nous faisons appel à la risée Perkins. Démarrage laborieux et anomalie de ralenti moteur. Après changement des filtres décanteur et fin du moteur puis réamorçage le moteur marche à nouveau normalement. Je suis étonné que le filtre fin se soit encrassé aussi vite (188h de fonctionnement depuis le dernier changement à Bayona) et de voir que le filtre décanteur aussi sale. Mon affaire de gasoil pollué et contenant très probablement des bactéries ne semble pas terminée.

Nuit suivante marche rapide et assez confortable au près bon plein sous solent et grand voile à 2 ris par un vent de SW donnant un vent apparent de 20 à 22 noeuds. Le pilote électrique Raymarine/JEFA fonctionne maintenant très bien avec les modifications appliquées (après un épisode d'erreur de signe au remontage) et je suis satisfait d'avoir rétabli cette redondance. J'aurai besoin en effet de ce pilote pour les grosses mers du Sud.

Mercredi 6 Octobre nous franchissons très au large le banc des Abrolhos, chaîne montagneuse sous marine s'étendant à près de 100 milles de la côte et mettons le soir de l'Ouest dans notre Sud (route 200+). L'alizé a faibli et est devenu traversier à la tombée de la nuit: à rouler le génois et à envoyer le grand gennaker (voile d'avant légère et très grande roulée sur emmagasineur) très efficace à cette allure. Il nous tire ainsi jusqu'en milieu de journée du lendemain. Le vent ayant fraîchi nous l'emmagasinons et le rentrons en soute pour repartir sous génois au largue à 7 noeuds.

La météo du soir (fichiers compressés gribs reçus par satellites Iridium) nous indique qu'il nous faut faire du SW et se rapprocher de la côte pour trouver des eaux plus abritées par le cap Frio, un vent frais à grand frais de SW étant annoncé. Attention à contourner une zone très active de recherche et exploitation pétrolière. Toute une flotte de bateaux de services et de gros bateaux d'exploration sismique ou de forages expérimentaux aux noms norvégiens (les Norvégiens ont soit obtenu une concession soit offrent des services) aux trajectoires inattendues apparaît de nuit sur l'écran grâce à ce merveilleux outil qu'est l'AIS (Automatic Identification System). Quelles technologies et savoir faire sont déployées pour aller chercher du pétrole à quelques 1500m sous le plancher de l'océan qui se trouve à environ 2000m de fond! Durant la soirée le vent a forci mais est resté de secteur NW nous permettant de faire route directe au portant, sous génois seul, à 8/9 noeuds.

Vendredi 8 Octobre 14h32 21°48'S 40°11'W. Nous avons retrouvé le plateau continental avec des fonds de 70m au large de Campos après avoir franchi la ligne de brusque remontée des fonds, dangereuse car créant des déferlantes en cas de gros temps (c'était au voisinage de cette remontée des fonds que les thoniers à voile de Groix ou de l'île d'Yeu faisaient souvent naufrage, surpris dans cette zone dangereuse par la tempête, zone que précisément apprécient les thons). Nous voilà parés pour une mer moins creuse et plus abritée par le Cap Frio qui abrite au Nord l'approche de Rio lorsque le vent fera sa rotation au SW en forcissant. Le baro descend rapidement annonçant l'approche de la dépression.

Samedi 9 Octobre 9h44 (TU-2) 22°31'S 41°28'W. BALTHAZAR tire des bords vent de bout bien équilibré et remontant bien sous Grand voile arisée (3 ris) et Solent réduit à la première marque, par un bon force 7.

Durant la nuit nous doublons le Cap Frìo (le Cap Froid tient son nom du fait que dans cette zone les eaux froides du fond de l'océan remontent- phénomène d'upwelling comme par exemple au large du Pérou- la température de l'eau a brusquement baissé à 20° et les laines sont de sortie- finies les T shirts équatoriaux; nous avons d'ailleurs aperçu nos premières baleines qui aiment ces eaux riches en krill) et continuons à tirer des bords vent de bout dans un vent faiblissant. Revenu au Sud le vent nous permet de faire route directe à bonne allure, pourvu que cela dure.....car nous sommes maintenant sans moteur. Le nettoyage et remplacement des filtres n'a pas suffit et le gasoil n'arrive plus au filtre fin du moteur. Nettoyage complet du réservoir et des durites sont encore une fois au programme, à l'occasion du prochain carénage à Angra dos Reis où j'ai prévu une semaine d'arrêt.

Dimanche en soirée nous retrouve au large de Rio; nous pouvons bien reconnaître le Pain de Sucre et nous regrettons vivement que la panne moteur nous empêche de pénétrer raisonnablement dans cette baie mythique mais trop fermée pour ne pas risquer de nous y encalminer au milieu d'un trafic important.

La journée de Lundi connaît une succession de petits grains et de pétole. J'améliore ainsi ma connaissance des réglages fins de BALTHAZAR au près et je suis sidéré de découvrir que j'arrive à le faire remonter au près serré à près de 32° du vent apparent (en eaux plates et par force 3 à 4). Claude et Bertrand découvrent avec moi l'excellent comportement au près serré par petit temps de ce sloop pourtant taillé pour les mers dures. Il faut ce genre d'expériences pour améliorer la connaissance de son bateau.

Cela me rappelle une navigation de 5 jours par pétole en Méditerrannée avec Marines qui avait cassé son inverseur. Nous avions décidé de quitter à la voile le charmant port de Pylos, à l'extrémité SW du Péloponnèse, pour rejoindre Catane en Sicile où j'estimais que je trouverai des mécaniciens italiens pour faire d'une manière plus sûre l'échange de l'inverseur. J'avais alors appris comment faire marcher Marines par 4 ou 5 noeuds de vent et cette expérience avait été très enrichissante.

Ce soir et cette nuit il va nous falloir négocier par une brise fraîchissante au près serré en tirant des bords l'entrée dans la baie d'Ilha Grande, au milieu d'abord des gros bateaux puis des bateaux de pêche. Bertrand qui n'est pas habitué à manoeuvrer de nuit et sans moteur pour rentrer dans une rade et un port inconnu est un peu nerveux, mais mon calme le rassure ( en près de 50.000 milles de croisière j'ai accumulé suffisamment d'expériences pour être parfaitement serein dans de telles situations). Effectivement cette remontée dans le passage est très intéressante pour profiter des bons bords, comprendre où le vent adonne, où il refuse, où le courant est favorable, où il nous contre, contourner de près les pêcheurs toujours sur la route avec leurs filets.

Nous voilà au petit matin de ce Mardi 12 Octobre entrant dans la baie fermée d'Ilha Grande, cernée de montagnes élevées et arrondies comme le fameux Pain de Sucre. La mer s'est aplatie et une douce brise portante nous emmène tranquillement à la marina, pas évidente à identifier car trop récente pour être sur la carte électronique. Elle est blottie, comme nous l'indique un couple sympathique de brésiliens sur une vedette qui s'est approchée de nous, à côté d'un chantier impressionnant où un énorme bateau de recherche pétrolière, surmonté d'un derrick et d'antennes ou engins divers, subit des travaux d'aménagement ou d'entretien sous des portiques gigantesques. Nous verrons qu'ils travaillent en 3X8 24h/24. Décidément le Brésil s'est vraiment mis au boulot et son décollage actuel est impressionnant.

Après une conversation à la VHF difficile car exclusivement en Brésilien (pas un mot d'anglais ni d'espagnol dans lequel je me débrouille) un mini zodiac apparaît piloté par un grand gaillard qui l'occupe entièrement alors que nous nous apprêtions à mouiller à une encablure de la petite jetée d'entrée (le passage avec des hauts fonds est trop sinueux et étroit pour permettre à Balthazar d'aller accoster un ponton sans risques. Nous nous demandons comment cette puce va se débrouiller de nos 25 tonnes mais le calme olympien de ce brésilien me rassure. Sa méthode est originale: il frappe un bout à la proue de Balthazar et en utilisant sa marche arrière (son hors bord tourne de 360°) il pilote son engin en l'agitant rapidement dans toutes les directions pour orienter convenablement et doucement notre monture. J'aime mieux vous dire que notre lourde ancre était prête frein desserré à jaillir du davier au cas où il y aurait eu un loupé. Il est vrai que la brise très faible et le propulseur d'étrave facilitait ce remorquage.

A 14h locales ce Mardi 12/10 nous étions accostés en douceur au ponton de la marina Verolme.

Expédié (avec retard pour cause de sortie rapide de l'eau, lancement des travaux de carénage et nettoyage du réservoir et des durites du moteur...) de la Marina Verolme, près la ville d'Angra dos Reis, 60 milles au SW de Rio par 22°59',9S et 44°14',9W le Vendredi 15/10/2010.

aux équipier(e)s, parents et ami(e)s qui ont la gentillesse de s’intéresser à nos aventures marines.

équipage de Balthazar: Jean-Pierre d’Allest, Claude Laurendeau, Bertrand Duzan.